La relance du débat sur « l’apartheid » en Israël (2024)

La mise en garde de Jean-Yves Le Drian sur «le risque fort d’apartheid» en Israël fait suite à la dénonciation de «crimes d’apartheid» par des organisations de défense des droits humains, relançant un débat houleux.

La relance du débat sur «l’apartheid» en Israël (1)

Une des cartes du rapport d’Human Rights Watch (HRW) accusant Israël de «crimes d’apartheid»

Le chef de la diplomatie française a, le 23 mai, mis en garde contre un «risque fort d’apartheid» en cas d’abandon de la solution à deux Etats entre Israël et la Palestine, précisant que, en ce cas, «on aurait alors les ingrédients d’un apartheid qui durerait longtemps». Dès 2006, Jimmy Carter, ancien président des Etats-Unis et artisan, en 1979, de la première paix israélo-arabe (entre Israël et l’Egypte),publiait un livre au titre provocateur: «Palestine, la paix, pas l’apartheid». En écho du «camp de la paix» en Israël, il argumentait qu’Israël ne pouvait rester un Etat à la fois juif et démocratique si se perpétuait l’occupation des territoires palestiniens: soit la population de ces territoires accédait aux mêmes droits que les Israéliens, dont l’Etat ne serait plus fondamentalement juif; soit elle serait exclue de ces droits, compromettant le caractère démocratique d’Israël.

LA DENONCIATION DES «CRIMES D’APARTHEID»

Ce débat, aussi ancien donc que l’impasse, depuis deux décennies, du processus de paix, a été relancé par la publication de deux rapports d’organisations de défense des droits humains, B’Tselem en Israël en janvier 2021, puis Human Rights Watch (HRW) aux Etats-Unis, trois mois plus tard. Pour B’Tselem, le «régime de suprématie juive entre le Jourdain et la Méditerranée» est de l’ordre de «l’apartheid», car il repose sur des droits garantis à la population juive sur l’ensemble de cet espace, alors que la population arabe ressort de quatre statuts différents suivant son lieu de résidence. HRW développe cette analyse sur la base de la carte ci-dessus, où l’équilibre démographique prévaut entre, d’une part, la population juive de nationalité israélienne, dont 10% de colons (440.000 en Cisjordanie et 220.000 à Jérusalem-Est), et, d’autre part, la population palestinienne divisée entre citoyens israéliens, résidents de Jérusalem-Est, habitants de la Cisjordanie et, enfin, habitants de la bande de Gaza.

B’Tselem considère que, sur l’ensemble de cet espace, Israël pratique «la restriction de la migration des non-Juifs et l’accaparement des terres palestiniennes pour construire des communautés réservées aux Juifs» tout en imposant, dans les territoires occupés, «des restrictions draconiennes sur le déplacement des Palestiniens non-citoyens et le déni de leurs droits politiques». HRW estime qu’Israël demeure «le pouvoir suprême» dans la bande de Gaza, et ce, en dépit du retrait unilatéral de 2005, qui a permis d’exclure, par le blocus israélo-égyptien, deux millions de Palestiniens de l’équation judéo-arabe. HRW affirme qu’un «seuil a été franchi» par Israël dans sa politique de domination directe ou indirecte de la population palestinienne et qu’elle relève désormais du «crime d’apartheid» tel que défini par la convention de 1973 sur l’apartheid et par le statut de 1998 de la Cour Pénale Internationale (CPI). Il ne s’agit dès lors pas pour HRW d’une assimilation à la situation prévalant en Afrique du Sud jusqu’en 1994, mais d’une qualification légale, justifiant d’éventuelles poursuites.

«PALESTINIAN LIVES MATTER»

Cyril Ramaphosa, le président sud-africain, affirme, durant la récente crise de Gaza, que la situation lui «rappelle très fortement l’apartheid». Aux Etats-Unis, des élues de la gauche démocrate au Congrès comme Cori Bush et Alexandria Ocasio-Cortez dénoncent alorsIsraël comme un «Etat d’apartheid». Mais Bernie Sanders, le candidat malheureux de la gauche démocrate à l’investiture présidentielle, appelle à «modérer cette rhétorique», refusant d’utiliser lui-même le terme d’apartheid. Sanders affirme pourtant que Nétanyahou a fait «adopter des lois qui consolident l’inégalité systémique entre les citoyens juifs et palestiniens d’Israël». Il presse Joe Biden de s’engager plus résolument en faveur de la solution à deux Etats, car «les vies des Palestiniens comptent». Un tel «Palestinian lives matter» fait référence au «Black lives matter» qui a mobilisé contre les violences policières après la mort de George Floyd en mai 2020. Cette campagne au nom des droits civiques associe des figures des communautés juive et afro-américaine, comme les deux sénateurs démocrates de Géorgie, John Ossoff et Raphael Warnock (leur appel à «cessez-le-feu immédiat» entre Israël et le Hamas est lancé dès le 16 mai, au moment oùla Maison blanche n’évoquait qu’une simple«désescalade»).

Nétanyahou et ses relais, en Israël comme à l’étranger, ont depuis longtemps accusé toute forme de critique de la politique suivie envers les Palestiniens d’être «antisémite».L’outrance d’une telle stigmatisation affaiblit paradoxalement la position d’Israël et de ses soutiens dans le débat qui vient d’être relancé sur «l’apartheid». En outre, les quatre élections en deux ans, sans majorité claire, érodent en Israël le crédit des institutions démocratiques, alors que les deux «autorités palestiniennes» ont épuisé depuis plus de dix ans leur mandat et se maintiennent, en Cisjordanie, par l’aide internationale et, à Gaza, par la force des armes. Cette défaillance au sommet ne peut, pour les deux peuples, qu’aggraver l’alternative entre les deux options liées chacune aux deux dates fondatrices de 1948 et de 1967: soit un Etat palestinien émergera aux côtés d’Israël sur la base des territoires occupés en 1967, soit le conflit israélo-palestinien se poursuivra sur l’ensemble du territoire qui correspondait en 1948 à la Palestine sous mandat britannique.

Car la solution à deux Etats n’est pas uniquement vouée à réaliser le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, elle est aussi la seule qui, dans la durée, permette à Israël de vivre en paix et en sécurité, en tant qu’Etat juif et démocratique.

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